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La patience et la rage
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Lordon, idiot utile du complotisme

Lordon, idiot utile du complotisme

Texte co-écrit avec DrMarty, publié en octobre 2017 sur le blog « Chroniques dissidentes ».

Lordon, idiot utile du complotisme

« Après « réforme », « moderne » et « logiciel » (« en changer »), « complotisme » est en train de devenir le nouvel indice du crétin. »  
 
Telle est la première phrase de l’article de Frédéric Lordon dans le Monde diplomatique (octobre 2017) et intitulé « Le complot des anticomplotistes ». Lordon considère que le complotisme est le nouveau terme dégainé par les puissants pour ne pas répondre à « un ordre social de plus en plus révoltant à un nombre croissant de personnes ». Il fait le parallèle avec l’usage du mot « antisémitisme », accusation qui « a été l’une des plus tôt jetées à la tête de toute critique du capitalisme ou des médias » : des mots faits pour tuer le débat (Lordon parle de l’accusation d’antisémitisme comme d’une « bombe atomique »). 
 
Il continue : « le « complotisme » est ainsi devenu le nouveau lieu de la bêtise journalistique - et de ses dépendances, philosophes dérisoires, ou sociologues de service ». Lordon défend l’idée que le complotisme est une tentative de penser le monde, « un effort, ici dévoyé, mais un effort quand même pour sortir de la passivité ». L’économiste debout la nuit écrit qu’il existe un « complotisme anticomplotiste » pour évoquer l’obsession pour les complotistes (et non les complots). Mais en réalité, ce qui intéresse Lordon, ce n’est pas le complotisme en tant que phénomène social, mais en tant élément de langage du pouvoir politique !  
 
Le Monde et son « décodeur » sont évoqués. Lordon analyse son existence en cherchant les raisons de sa création. Selon lui, elles tiennent moins de la « simple, et supposée, prolifération des cinglés conspirationnistes » que par le « sentiment d’être agressé, le syndrome obsidional de la forteresse assiégée ». « En résumé, on commence par entendre pendant des années des « BHL » et des Jean-Michel Aphatie, et puis, par lente imprégnation, on se trouve en bout de course avec un Samuel Laurent, chef de la rubrique Les décodeurs du Monde.fr, d’autant plus pernicieux qu’on a affaire, comme on dit à Marseille, à « un innocent » ». Le complotisme est donc selon lui un réflexe de protection du pouvoir politico-médiatique lorsqu'il est mis en cause. 

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Le problème de cette analyse vient de la définition de son objet d’étude. D’entrée de jeu, il sous-estime les théories du complot existantes sur Internet, et qui profilèrent depuis 2001, en les considérant comme mineures, voire négligeables. Il prend la lutte contre le complotisme comme une arme idéologique au service du « Pouvoir » politique, répercuté par les journalistes ensuite. Il y aurait une connivence entre le journalisme français et le pouvoir politique quel qu’il soit. C’est discutable, mais en prenant une réalité et en y accolant le mot d’une autre réalité, il fait oublier que le complotisme existe bel et bien. Il veut faire croire que seule l’entente médias/politique est digne d’être le sujet d’un article du Monde Diplomatique…  Il réduit donc la réalité du complotiste à un simple discours tenu par les puissants. 
 
Lordon manipule une réalité qu'il veut faire rentrer dans ses cases idéologiques : il ne prend que la partie qui l'arrange, et il ignore le reste. Or, il ne voit pas que le complotisme peut aussi arranger le pouvoir. Quand on considère qu'un attentat a été commis par l'État, on ne se pose pas les questions de sa réalité. Les terroristes ont été manipulés, ils n'y avaient aucune raison de tuer au nom de quoi que ce soit. L'État passe pour super-fort, celui qui sait fabriquer le bon et le gentil, on ne se pose pas de questions sur ses failles, puisqu'elles n'existent pas ! Aujourd'hui, le discours majoritaire sur le terrorisme en France se divise en deux : pour les uns, ce sont des paumés qui s'en prennent à notre façon de vivre, et pour les autres, c'est le Nouvel Ordre Mondial qui organise une stratégie de chaos pour contrôler les populations.  Passons sur l'ancrage de cette merde dans les jeunes esprits, qui ont comme premier contact avec la politique mondiale une vision complotiste.

Lordon oublie une autre chose : le désespoir du complotiste. Puisque l'État est si fort (pour ne pas que lui), on ne peut pas le battre. Alors pourquoi lutter ? Et contrairement à ce qu'il dit, le complotiste n'essaie pas de sortir de la passivité : il veut se donner des excuses paresseuses pour y rester !  Évidemment, les gens d'ER et de Suavelos s'organisent au lieu de rester devant leur écran : ils font une association, tentent de gagner de argent (PayPal, Tipee...) mais ils se confortent dans leurs erreurs. Et c'est certain qu'ils ne sont pas passifs en la matière ! Mais ils ne font jamais aucun effort pour voir au-delà de leurs idées toutes faites. Évidemment, pour Lordon, toute rébellion semble bonne à prendre : conspis, encore un effort pour être marxistes. Alors seulement vous verrez la vérité... 1917-2017 : d'un octobre rouge à l'autre...

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Et ce n’est pas le premier coup d’essai du père Lordon sur ce sujet. Il avait déjà commis un article semblable, « Le symptôme d’une dépossession » (juin 2015). On l'y voit déjà plus proche des positions et des thèmes des complotistes que des anticomplotistes. Pour lui, un « complotiste », c'est quelqu'un qui a l'intuition qu'il est dans un rapport de domination et qui l'exprime en débordant sur la paranoïa, et l'« anticomplotiste », c'est le pouvoir qui se défend en cherchant à discréditer ceux qui ont cette intuition.  Pour Lordon, la victime du « Pouvoir » est toujours une victime et à toujours une excuse d’être butée ou mal informée.

Sauf que Lordon est lui-même caricatural en opposant un groupe « politico-médiatique » et un groupe qui fait un « effort dévoyé » pour comprendre le pouvoir. Il ne défend que sa chapelle, celle de Nuit Debout, en oubliant que le complotisme n'a pas d'étiquette politique. Si certains représentants se situent à l'extrême-droite, on ne peut pas dire que le complotisme entier est d'extrême droite. Il y a aussi l'extrême gauche, qui voit la main invisible du capitalisme un peu trop partout...

Lordon ne se pose pas la question de savoir pourquoi l'accusation de complotisme peut discréditer réellement. Il fait le parallèle avec l'antisémitisme, qui réveille les souvenirs du génocide quand on le prononce. D'où une hyper-sensibilité sur la question et un sentiment de culpabilité (ou d'auto-culpabilité) qui empêchent tout débat. Lordon oublie de préciser que si traiter quelqu'un de complotiste peut être efficace (dans une moindre mesure par rapport à l'antisémitisme), c'est que l'on sait ce que sont le complotisme, le révisionnisme et la négation de la réalité. On sait que tout ou partie des conspis nient les chambres à gaz, le 11-Septembre, les printemps arabes, le terrorisme islamistes, etc. Quand on traite quelqu'un de « fasciste », on voit le régime autoritaire derrière. Mais ce régime a existé et n'est pas inventé par les militants d'aujourd'hui !

Lordon s'arrête au mot, sans gratter et chercher les raisons de son efficacité. Si le mot peut être une arme politique, c'est parce qu'il y a une histoire derrière, et qu'il a aujourd'hui des hommes qui ne veulent pas être dupes, qui pensent trouver la vérité, mais qui se font duper par leur esprit hyper-critique qui les emmène beaucoup trop loin. Mais pour lui, l'accusation semble venir de nulle part et est utilisée pour défendre le « Pouvoir ». Un peu court... Il ignore ou feint d'ignorer la réalité du complotisme, il ne veut pas voir qu'il y a vraiment des gens qui nient l'histoire et le présent ! Le complotisme n'est pas une création des médias « dominants ». C'est un phénomène indépendant qui a été fortement mis en lumière par les médias, surtout du fait de la notoriété de Dieudonné. À quand les partisans des « efforts dévoyés » de chez ER dans les A.G. de Lordon ? De plus, Lordon ne voit pas qu'en niant le complotisme, il se comporte exactement comme les complotistes ! Il nie la réalité et la réduit à n'être que l'illusion créée par un petit groupe de dominants, dans le but de protéger leur pouvoir en détournant les pigeons de la réalité. 

Le complotisme selon Lordon n'est pas un phénomène important des années 2000-2010 répandu massivement par le web ; non, il n'est qu'une création politico-médiatique pour dénoncer à moindre frais ceux qui se posent des questions. Mais il faut y insister : en disant cela, Lordon alimente le complotisme ! Car il nourrit l'idée qu'il y a bien une conspiration des élites, et que si vous commencez à la dénoncer, alors on va vous traiter de paranoïaque ! Donc : le Système est puissant, il vous surveille, il vous réprime... Quand on nie la réalité, on se retrouve toujours du côté des conspis... 

La « gauche de gauche » n'a pas fini de traîner ce boulet : sa proximité théorique avec le complotisme. Car dans le système théorique de Lordon comme dans les théories de la conspiration, il n'y a pas vraiment d'individus libres, il y'a des déterminismes et des forces impersonnelles, il y a des structures de désir et de pouvoir, mais pas vraiment de gens qui désirent d'eux-mêmes ou qui exercent le pouvir. Cette vision globale, massive et deshumanisée (la réalité est perçue comme une sorte d'espace géométrique, avec des vecteurs, des forces, des plans...) est comme la structure de base du complotisme, le niveau 1 qui soutient les niveaux supérieurs, pour reprendre la classification que nous proposions sur ce blog. Lordon n'est pas Paul Ponssot, très loin de là. Mais ce n'est pas si difficile de glisser des critiques du Capital aux dénonciations du complot des élites. Car on se place déjà dans une vision du monde social où l'individu n'a pas de volonté propre car il dépend d'une totalité qui le dépasse. A Lordon de voir, donc, jusqu'où il assume sa proximité avec les conspirationnistes, et ce qu'il espère en se montrant indulgent avec eux. Car selon lui, on peut être compréhensif envers ceux qui voient des sionistes partout. Par contre, le Pouvoir capitaliste dominant médiatique etc., lui, on ne lui passe jamais rien, il est foncièrement haïssable et mauvais. Et il est tellement puissant qu'il nous fait croire qu'il y a vraiment des complotistes !

A quoi peut mener l'excès de théorisation et de biais idéologique, de la part de ce sociologue, qui est surtout un métaphysicien perdu dans son monde d'abstractions : il croit parler de la réalité sociale comme Marx, alors qu'il spécule comme Spinoza sur la substance infinie et ses virtualités...

Frédéric Lordon, idiot utile du complotisme ? Lordon, à la droite de Soral demain ? Attention, je n'affirme rien, je ne fais que poser des questions, je fais un « effort dévoyé » ! 

Post-scriptum

Dans un billet de son blog datant de 2012, intitulé « Conspirationnisme : la paille et la poutre » reconnaissait davantage l'existence du conspirationnisme. Il en réfutait à la fois la logique et les fondements, tout en refusant de disculper les médias et le pouvoir de leur responsabilité dans le développement de ce phénomène. Il écrivait : « Le conspirationnisme n’est pas la psychopathologie de quelques égarés, il est le symptôme nécessaire de la dépossession politique et de la confiscation du débat public. Aussi est-il de la dernière ineptie de reprocher au peuple ses errements de pensée quand on a si méthodiquement organisé sa privation de tout instrument de pensée et sa relégation hors de toute activité de pensée ». Le peuple veut savoir, et c'est légitime aux yeux de Lordon, mais comme on ne l'informe pas et qu'on lui sert à longueur de débats télés des experts ineptes et interchangeables, il ne peut rien savoir, et se retrouve pris au piège du conspirationnisme, par ce mélange d'ignorance et de sincère désir de comprendre. 

On mesure, en relisant ce texte, le chemin parcouru par Lordon entre 2012 et aujourd'hui : partant d'une position somme toute équilibrée, faisant la part des torts de chacun, il est allé dans le sens d'une dénonciation de plus en plus radicale sur la responsabilité des élites, et d'une logique de l'excuse toujours plus prononcée, jusqu'à aujourd'hui, où il a l'air de dire que le conspirationnisme n'existe que comme accusation mensongère. Mais cela tient à son biais d'analyse, qui est de ne s'intéresser jamais de près aux acteurs réels de la « dissidence » et à leurs discours. Pour un sociologue ou un économiste, il n'y a pas vraiment d'individus, mais des « agents », occupant une position dans une « structure sociale » qui les détermine « nécessairement » à avoir tel ou tel comportement ou à proférer tel discours selon leur « intérêt ». Mais à regarder les choses de si haut, comme depuis le hublot d'un avion, le sociologue se « dépossède » lui-même des moyens de comprendre comment on bascule dans le complotisme.