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La patience et la rage
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Entre couilles (histoires de mecs)

Entre couilles (histoires de mecs)

Marc-Edouard Nabe, Tête de Darius sur fond brun (2016)

Marc-Edouard Nabe, Tête de Darius sur fond brun (2016)

Il y a du monde encore ce soir, à l'heure de l'apéro. Nabe vient nous servir lui-même sur le perron de la galerie des chips et du guacamole. Rafaël vient d'arriver avec son fils, et sort une bouteille de vin qu'il commence à déboucher : 

- Regarde ton père, dit Nabe au fils, et observe comment il fait. Et ensuite, si tu trouves que c'est bien, tu feras comme lui. C'est comme ça qu'il faut faire...

Il y a une bonne ambiance. On parle de Grimault, l'escroc de la "révélation des pyramides" et de sa dispute avec son documentariste, Pooyard... Grimault et ses délires sur l'île de Pâques, invité d'ailleurs il y a quelques mois à la Main d'Or pour une conférence. Les escrocs s'attirent entre eux, et là pour le coup, il y a une attraction magnétique ! En langage internet, on appelle cela "crank magnetism" : si vous commencez à croire au complot sur le 11-septembre, vous êtes bien plus susceptible de vous mettre à croire aux pilules miracle contre le cancer, au moteur à eau, à tout ce qui va contre la vérité "officielle". C'est l'entonnoir à conneries : on tourne, on tourne et on dégringole. 

Nabe nous dit qu'il est passionné par l'île de Pâques et qu'il rêverait d'y aller. Depuis Santiago du Chili, environ cinq heures de vol. Nabe a une étagère entière sur l'île aux Moaï, et nous raconte comment les Pascuans déplaçaient les énormes têtes, parfois y laissaient la vie pour les mettre aux bons endroits... Passionnant autant qu'inattendu ! Un thème pour une prochaine exposition ?

Quand on entend Nabe parler d'une de ses passions (je lui en découvre une quasiment à chaque fois que je viens ici), je réalise par contraste la misère intellectuelle profonde des conspis. Quand on lit par exemple (c'est presque du vice à ce niveau) les cours de "littérature" de Faurisson sur Baudelaire ou Rimbaud, on peut se faire une bonne idée de ce qu'est la haine rentrée de la littérature.  Son absence de sensibilité littéraire, son incapacité à comprendre la poésie des textes, la platitude insensée de ses analyses, bien pires que celle d'un lycéen qui baille en lisant Les Illuminations ou Les Fleurs du mal. Parce que le lycéen en question n'aura simplement rien à dire, tandis que Faurisson prétend dire quelque chose d'intelligent ! Ce qui est la définition même de la bêtise...

 

*

 

Voilà Valentin, et ce jeune guitariste de bossa-nova. A cause d'un problème médical, il ne peut pas jouer et s'asseoir. Nabe l'avait déjà encouragé : "tu vas y arriver, tu vas arriver à jouer debout, à devenir le premier guitariste de bossa-nova debout !"

Un responsable du milieu de l'art nous raconte à quel point le milieu est mort, à quel point il est impossible de faire quoi que ce soit. L'affaire qui fait le plus de bruit en ce moment est bien dans le ton de l'époque : de pseudos carnets de Van Gogh, une affaire minable d'un "expert en art" sorti de la fac de socio qui a réussi son buzz. Tout à fait typique du règne du toc et du truquage. On est en plein dans le Paris de L'Homme qui arrêta d'écrire !

Avec Rafaël, on soupire d'ailleurs sur l'inertie du milieu littéraire. Depuis dix ans, quinze ans, c'est le désert. Aucun écrivain à suivre, aucun livre dont la sortie est attendue, plus rien ne se passe...

- En fait, dit Rafaël, Nabe est le seul écrivain aujourd'hui qui aborde les sujets décisifs ! Il n'y a que lui dont on attend le prochain livre.

On a pu sourire à une époque des descriptions murayennes du Paris bobo, mais le filon s'est vite tari, d'autant que les Elisabeth Lévy et autres Luchini l'ont exploité et surexploité jusqu'au bout... On sait aussi que Sollers, à son âge, ne fera plus rien. Nabe nous racontait l'autre jour ses visites au Sollers vieillissant, n'osant plus se lever en sa présence de son bureau de chez Gallimard... Jackie Berroyer était passé aussi, il y a quelques mois, emmitoufflé dans son manteau noir de vieil homme. Quand l'humoriste était parti, Nabe avait eu un sursaut : "le temps passe les gars ! c'est pour ça qu'il faut travailler ! maintenant !" 

Pas question de traîner, d'avoir la flemme, mot dont il ignore l'existence. Il vient d'ailleurs de terminer un portrait d'un gros homme rougeaud, les joues épaisses, les traits tirés, un front aux rides accusées et une bouche large soutenue par un double-menton. Je ne reconnais aucune des figures qu'il peint régulièrement. 

- Tu ne le connais pas ?... Il va falloir te recadrer là, ça ne va pas.

J'ai beau turbiner, je ne vois pas. A un ami, il dit que ce personnage est merveilleux, qu'il le voit tous les jours et qu'il trouve ses mains fascinantes... J'apprendrai peu après qu'il s'agit de Darius, un clochard qui vient souvent trouver refuge à la galerie. Il ne manquait en effet plus qu'à ce lieu de se transformer en centre d'accueil ! Tout va trop vite ici, et comme Nabe met moins de temps à monter une exposition que moi à écrire une de ces chroniques, j'ai du mal à suivre le rythme, comme certains jazzmen avec des solistes virtuoses qui doublent ou quadruplent le tempo sans prévenir !

Un des amis de la galerie compte sur Nabe pour l'aider à écrire des mots à des filles, comme Cyrano avec Christian ! 

- Il m'a rédigé des lettres, moi je n'ai pas sa pêche !

 

*

 

A la tombée de la nuit, on voit passer un ancien ministre au manteau noir, la tête dans son chapeau, écharpe rouge à la Mitterrand : "Fabios" !

Ça fait du bien de revoir en vitrine l'Avertissement de 2014. Lire tous les noms les plus célèbres, les plus cons, les plus sales, et se dire qu'ils seront tous dans le démesuré pamphlet à venir... Nabe nous apporte sur le perron un verre de vin, mais on il fait froid, on va rentrer. Avec Rafaël, on se marre devant des passages de Renaud Camus... Rafaël a lu tout le journal du châtelain de Plieux (Gers) pour y trouver les références à Nabe. Une séquence hilarante où Camus ne se remet pas d'avoir lu que Nabe trouve Brahms "très chiant". Trois jours après, cette phrase lui trotte toujours dans la tête et lui gâche l'écoute du morceau !  Camus est vraiment impayable : lui qui n'hésite pas à écrire qu'il invite des hommes chez lui et se fait enculer (sur son Minitel !), est pourtant choqué par les récits de soirées choroniennes dans le Journal de Nabe... L'hypothèse de Nabe est que Camus, comme d'autres homosexuels, est obsédé par notre écrivain : "il crie mon nom quand il se fait prendre par des Noirs dans un sauna ! Vérifiez, il l'a dit !" Des Noirs chez Camus ? Le grand remplacement, c'est maintenant !

On discute, on s'amuse, mais avec tout cela, il y a un petit problème : ce soir, il n'y a encore que des mecs ! On se regarde un peu dépités... Leïa passe en coup de vent et c'est Anthoine qui résume tout le problème : "on se retrouve encore entre burnes, pas une fille à l'horizon !"